Konpè! Ou pa di-m ki mô ki touye lanperè?
Jean-Jacques DESSALINES, général de l’armée haïtienne, fondateur de l’Indépendance, empereur d’Haïti, tombe dans une embuscade organisée au Pont-Rouge, à l’entrée nord de Port-au-Prince, le 17 octobre 1806.
Le proverbe que nous avons cité, au début de cet article, montre la complexité de la vie politique de la jeune République haïtienne et les luttes pour le pouvoir ; le dicton populaire plein de malice révèle bien l’idée que le peuple n’est pas dupe quant aux récits officiels sur la mort de Dessalines, récits provenant des organisateurs même de l’attentat, les généraux Pétion et Gérin.
Dessalines reste un personnage qui a suscité beaucoup d’interrogations et même de passion dans l’histoire d’Haïti. C’est lui qui a poursuivi la guerre d’Indépendance, après l’arrestation de Toussaint Louverture, et qui fonde le nouvel Etat le 1er janvier 1804 ; mais il meurt de façon tragique, deux ans après l’Indépendance, enterré de façon presque clandestine, et ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle qu’on lui construit une tombe digne du premier Président d’Haïti.
Dessalines est né en 1758, dans le Nord d’Haïti. Il grandit sur une habitation dans l’Artibonite. C’est un nègre esclave, charpentier de métier, affranchi au début des années 1790, lorsque la révolution éclate.
On le présente comme un esclave rebelle, souvent marron, et au moment de la grande insurrection des esclaves en 1791, il combat dans les premières bandes d’insurgés conduites par Boukman. On le retrouve ensuite dans les bandes de Jeannot, Jean-François, Biassou, avant qu’il n’incorpore l’armée de Toussaint Louverture. Il suit Toussaint au service de l’Espagne, puis de la France, au moment où la République vient d’émanciper les esclaves.
Dessalines se fait remarquer par son courage mais aussi sa férocité implacable contre les Mulâtres dans la Guerre du Sud (février 1799-août 1800). Dessalines est conscient que toute forme de sécession est une manière de suicide pour la future nation haïtienne. Nommé général, il devient le bras droit de Toussaint Louverture et applique avec une extrême sévérité les règlements de culture mis en place sous le régime louverturien afin d’assurer la reprise de la production de sucre et de café après dix ans de guerre civile.Lors de l’expédition française du général Leclerc, en janvier 1802, Dessalines s’illustre par la résistance héroïque de l’armée haïtienne face aux troupes françaises au Fort de la Crête à Pierrot (mars 1802).
Après la déportation de Toussaint Louverture, Dessalines apparaît comme l’un des principaux généraux de l’armée haïtienne en guerre contre le corps expéditionnaire français venu rétablir l’esclavage. Mais Dessalines doit aussi se positionner face aux chefs de bandes rebelles, dont de nombreux Africains, qui mènent la guérilla dans les montagnes et opposent une résistance farouche aussi bien à l’armée haïtienne qu’à l’armée française. Au nom de l’unité nationale, Dessalines entreprend de soumettre à son autorité tous les chefs de bandes autonomes ou de les éliminer purement et simplement de l’échiquier militaire et politique. En poursuivant une politique de liquidation plutôt que de ralliement des chefs africains, Dessalines s’impose comme le véritable commandant en chef de l’armée indigène unifiée et le successeur de Toussaint Louverture; mais il s’est déjà coupé d’une base populaire et paysanne, ce qui explique peut-être sa fin tragique.
L’année 1803 marque l’ascension incontestable de Dessalines. Au Congrès de l’Arcahaie (mai 1803), il crée le drapeau national haïtien en arrachant la couleur blanche du drapeau français. En novembre 1803, il remporte la dernière grande bataille qui marque la capitulation des Français, à Vertières.Le 1er janvier 1804, Dessalines proclame l’Indépendance d’Haïti, aux Gonaïves :
«Citoyens,Ce n’est pas assez d’avoir expulsé de votre pays les barbares qui l’ont ensanglanté depuis deux siècles ; ce n’est pas assez d’avoir mis un frein aux factions toujours renaissantes qui se jouaient tour à tour du fantôme de liberté que la France exposait à vos yeux ; il faut, par un dernier acte d’autorité nationale, assurer à jamais l’empire de la liberté dans le pays qui nous a vus naître ; il faut ravir au gouvernement inhumain, qui tient depuis longtemps nos esprits dans la torpeur la plus humiliante, tout espoir de nous ré asservir ; il faut enfin vivre indépendant ou mourir… Jurons à l’univers entier, à la postérité, à nous-mêmes, de renoncer à jamais à la France, et de mourir plutôt que de vivre sous sa domination. De combattre jusqu’au dernier soupir pour l’indépendance de notre pays !»
Devenu Gouverneur général à vie, Dessalines entreprend de consolider l’indépendance d’Haïti. La question de la terre, des cultures, du commerce extérieur se pose avec acuité. Les généraux du régime, également propriétaires, s’opposent à Dessalines lorsque ce dernier décide de procéder à la vérification générale des titres de propriétés. Complots et conspirations se succèdent, notamment dans le Sud, fief traditionnel des Mulâtres. La population paysanne, de son côté, vit les règlements de culture comme une sorte de servage organisé militairement. L’Ouest et le Sud du pays sont pratiquement en état de sécession.
Le 17 octobre 1806, Dessalines, qui s’était entre temps proclamé empereur sous le nom de Jacques 1er, est assassiné. La foule s’est acharnée sur le cadavre dont les restes méconnaissables furent rassemblés dans un sac par une vieille folle nommée Défilée qui les transporta de nuit au cimetière de l’intérieur où l’on fit ériger un modeste tombeau portant l’épitaphe : «Ci-gît Dessalines, mort à 48 ans».
En 1892, le Président Hypollite fit édifier au même endroit un mausolée portant l’inscription : «Jean-Jacques Dessalines, fondateur de l’Indépendance d’Haïti. Mort en 1806, à l’âge de 48 ans. En témoignage d’admiration et de reconnaissance pour l’acte mémorable du 1er janvier 1804».
La vie et la mort de Jean-Jacques Dessalines, premier chef d’Etat haïtien, fondateur de l’Indépendance, annoncent l’histoire agitée qu’a connue Haïti pendant tout le XIXe siècle. “Asé Pléré Annou Lite”(APAL).
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