Littérature:Quand le romancier haïtien Jean Metellus racontait sa ville natale

“La famille Vortex”, un des romans de Jean Métellus vient d’être réédité dans la collection de poche l’Imaginaire chez Gallimard. En 1981, “Jacmel au crépuscule”  annonçait avec une rare évidence et en toute certitude une œuvre de premier plan. Il s’est toujours acharné au poème, Jean Métellus, et Maurice Nadeau publia en 1978 : “Au pipirite chantant”. Se savait-il romancier, le luxuriant épigone de Césaire ?

Un conteur de haut-vol, tendre, malicieux, perspicace, au fait de toutes les ruses et de tous les cris des hommes. Avec “Jacmel au crépuscule”, l’émotion la moins aléatoire est au rendez-vous. Les clichés tombent comme des mouches et le lecteur est confronté à la vie.

Ce roman révèle et honore continûment le courage forcené du peuple haïtien. Toute la saveur occultée ou confisquée d’une culture nationale et d’une âme collective au lent et lourd calvaire, tout le raffinement spontané de traditions précieuses, toute la rage en face de l’inertie, tous les périls, tout est là, la fraîcheur et la grâce et l’amour et la rage, la peur, l’espoir, l’humour. Quelle luxuriance s’offre en prime et une intelligence du cœur jamais empêtrée dans le sarcasme.

«La ville de Jacmel s’entretenait avec la mer depuis trois siècles». L’entreprise de défiguration à laquelle les dictatures s’attachèrent en Haïti ne parvient pas à priver ce pays torturé des princes de la parole qu’il enfante si régulièrement. Déjà “Gouverneur de la rosée” de Jacques Roumain.

Les Haïtiens croient qu’il faut éviter de boire son café debout pour ne pas trembler quand on devient vieux. Hélas, en fait de tremblement, la tragédie récente et qui se poursuit a vraiment dépassé les bornes.

Avec ses cordonniers, ses avocats, ses notaires, ses paysans, ses intellectuels crypto-communistes, ses députés flairant le coup d’Etat, ses jumelles et ses jumeaux, ses prêtres vingt fois pères, ses fonctionnaires au salaire maigrichon, son gagnant à la Loterie, Jacmel n’est certes pas une bourgade. «Terrain d’aviation, lycées, hôpital…», insistait Métellus devant moi, il y a près de trente ans.

«A un certain moment, j’ai été mis entre les mains des mots. Ça n’est pas moi tellement qui les ait utilisés. Professeur de mathématiques dans un des lycées de Jacmel, je suis venu en France accomplir des études de médecine. J’obtins aussi un doctorat en linguistique avec un travail sur la Pathologie du langage».

Les années passent. Les poèmes pleuvent, paraissent. Mais le romancier est le vrai souverain du neurologue. Pour “Jacmel au crépuscule”, il baignait dans ses souvenirs de l’année 1956 à Jacmel, juste avant la «chute» du président Magloire.

L’un des personnages de cette «enquête au pays» note : «tout est à entreprendre et la seule possibilité actuelle d’entreprendre quoi que ce soit est, malheureusement, verbale».

Vous découvrirez Pisquette, Gros-Nina, Alexander Dupont, Le Korek, Le Raidek, Lériné, Jean-Philippe Murat, M Barthoux, Marcelle et Lucien Cardinus, Isaac Leprêtre, Honorine et tant d’autres. Pour le moment, écoutez ceci : «Tu ne sais pas qu’il fait carrément dans son pantalon à chaque coup d’Etat. En vérité, je préfère qu’il soit en pyjama dans ces cas-là et sur le balcon qui est carrelé ! Quand j’ai vu ça pour la première fois sous Vincent, j’ai cru à un dérangement digestif. Mais ton père a recommencé à la chute de Lescot et d’Estime…».

Lorsque Métellus écrit qu’Haïti ne peut plus vivre seule, qu’il faut qu’elle se marie «avec la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane, pays de sang noir et pourquoi pas avec Saint-Domingue et Cuba», retentissent tous les diktats qui expliquent comment et pourquoi le pays natal de ce romancier est dans une telle misère.

Songeons à cette phrase de M Barthoux à son fils qui lui signifiait ne pas voir en lui l’un des plus malheureux : «c’est évident, mais une vie ce n’est pas ça. Les deux catégories d’individus les plus mal lotis, ce sont les intellectuels et les paysans. On fait de nous ce qu’on veut». Etonnants de gravité et de ferveur, d’ironie blessée et de fécondité, les écrivains haïtiens n’abdiquent pas.

Aujourd’hui, Jean Metellus qui vit toujours en France mobilise des dons en faveur de sa ville natale, Jacmel, victime du terrible tremblement de terre et avide de renaître heureuse.

Source :  http://www.lesoir-echos.com

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