Le Marché Hyppolite, classé 34e patrimoine historique national par l’Etat haïtien, vient d’être restauré. Cette restauration participe du plan de la reconstruction et de la mise en valeur du patrimoine historique et culturel du pays. Le Marché Hyppolite, mémoire vivante de l’histoire et de la culture haïtiennes, et, à côté du Marché de la Croix-des-Bossales, le poumon de l’activité commerciale de la capitale, sera inauguré, ce mardi 11, la veille du 1er anniversaire du séisme, le 12 janvier. A cette occasion, notre collaborateur Chenald Augustin s’est entretenu avec l’architecte Daniel Elie, directeur général de l’Ispan.
Haïti: Le Nouvelliste : De nombreux monuments et bâtiments historiques, qui sont en danger, menacés de disparaître, notamment suite au séisme du 12 janvier, ne sont pas restaurés. Qu’est-ce qui justifie le choix de la restauration du Marché Hyppolite ?
Daniel Elie : Le projet de restauration du Marché Hyppolite a démarré dès le lendemain de l’incendie du 29 juin 2008 qui emporta la partie nord de l’édifice. Les techniciens de l’Ispan se sont, en effet, mis au travail dès le 30 mai, en effectuant un premier bilan sommaire des dégâts causés par le sinistre. Les mesures conservatoires d’usage à prendre furent décrites dans un document qui permit d’établir dans les jours qui suivirent un budget d’intervention.
L.N. : Quelles ont été ces interventions et en quoi consistaient-elles ?
D.E. : Ces interventions se résumaient en : une protection périphérique du site ; un relevé topographique et architectural du monument historique ; l’inventaire des pièces métalliques de la partie nord, leur récupération et leur entreposage en un lieu sûr. Ce document prévoyait également le coût des études préliminaires de la restauration de l’édifice. Ce dossier fut adressé au ministère de l’Economie et des Finances pour les suites nécessaires. L’Ispan entreprit immédiatement, vu l’urgence, la construction d’un mur de clôture de 2,40 m de haut, qui devait aider grandement à la sécurisation des débris métalliques, livrés à la convoitise de pillards de toutes sortes. Grâce au financement obtenu du ministère de la Planification et de la Coopération externe, l’Ispan contracta la firme GJ Consultants pour effectuer un relevé précis de la halle sud et du pavillon central. Ce relevé architectural très complet, fut réalisé suivant les méthodes traditionnelles et par station totale numérisé pour le relevé topographique. Ce travail, qui fut accompagné d’un relevé photographique complet a permis une plus grande compréhension de l’édifice et de ses parties constructives. Ce document de base, d’une extrême importance, devait accompagner les travaux durant toute la durée du chantier.
L.N. : La restauration de tout monument historique doit se faire à l’identique. Qu’en est-il du Marché Hyppolite ?
D. E. : Dès les lendemains de l’incendie de mai 2008, l’Ispan entrepris une large réflexion sur ce que serait la restauration de ce monument historique. Après diverses consultations et recherches sur l’histoire du bâtiment, consultations fournies gracieusement par l’historien de la ville, Georges Corvington, l’Ispan opta pour un parti architectural simple : restituer la halle nord en respectant la volumétrie, l’ordre et le vocabulaire de l’édifice tout en utilisant des pièces métalliques d’un design actuel. La halle sud serait, elle, restaurée à l’identique en utilisant les pièces métalliques récupérées de la halle nord détruite. Cette option permettrait d’appliquer à la lettre l’article 12 de la Charte internationale sur la conservation et la restauration des monuments et des sites (Charte de Venise, 1964) qui préconise que « les éléments destinés à remplacer les parties manquantes doivent s’intégrer harmonieusement à l’ensemble, tout en se distinguant des parties originales, afin que la restauration ne falsifie pas le document d’art et d’histoire. » (Voir BI-13, 1er juin 2010)
Le parti architectural bien élaboré fut définitivement établi au courant du mois octobre 2009, entre l’Ispan, l’architecte de restauration, M. Philippe Châtelain, consultant pour l’Ispan avec la collaboration de l’architecte John McAslan, partenaire, à l’époque, de l’Ispan pour d’autres projets de préservation de biens culturels à travers Haïti, notamment au Parc national historique Citadelle, Sans-Souci, Ramiers (PNH-CSSR), situé dans le Nord.
L. N. : Quelles étaient les principales difficultés pour que ce monument historique retrouve son intégrité et son utilité ?
D. E. : Le marché Hyppolite a subi de graves dommages lors de l’incendie de 2008 qui a détruit complètement sa halle nord. Après inventaire des pièces en fonte de cette partie détruites de l’édifice, l’Ispan a pris le parti de récupérer celles qui pourraient servir à la restauration intégrale de la halle sud. Pour la reconstruction de la halle nord, l’Institut a appliqué scrupuleusement l’article 9 de la Charte internationale des monuments historiques (Charte de Venise, 1964) qui stipule en son article 9 : « la restauration est une opération qui doit garder un caractère exceptionnel. Elle a pour but de conserver et de révéler les valeurs esthétiques et historiques du monument et se fonde sur le respect de la substance ancienne et de documents authentiques. Elle s’arrête là où commence l’hypothèse, sur le plan des reconstitutions conjecturales, tout travail de complément reconnu indispensable pour raisons esthétiques ou techniques relève de la composition architecturale et portera la marque de notre temps ».
Ainsi, la halle sud a été restaurée en respectant l’intégrité et l’authenticité du bâtiment et la halle nord, reconstruite avec des matériaux contemporains selon les proportions et le langage architectural de la halle sud, en mettant en exergue la composition symétrique de l’ouvrage. Si je me permets de faire une comparaison, je citerai la toiture en bac d’aluminium ajoutée à la batterie Coidavid de la Citadelle Henry pour protéger celle-ci des infiltrations d’eau de pluie. Ne pouvant déterminer avec précision la configuration de la toiture d’origine, l’Ispan a opté, dans ce cas, pour une solution, qui, tout en s’intégrant formellement à l’ensemble, ne cache pas qu’il s’agit d’une intervention moderne et fonctionnelle.
L.N. : Quelles sont les mesures prises sur le plan de la conservation en vue de l’utilité du Marché ?
Pour l’utilité du Marché Hyppolite, là encore la charte de Venise nous a servi de référence : Article 5 : La conservation des monuments est toujours favorisée par l’affectation de ceux-ci à une fonction utile à la société. Il a paru évident que le marché devait conserver, après restauration, sa fonction traditionnelle, tout en subissant des adaptations indispensables. Bien sûr, nous sommes très lucide de la situation du centre-ville de Port-au-Prince, particulièrement celle créée par la localisation du port et du marché de gros de la Croix-des-Bossales. Nous avons donc opté dans le sens de la reconstruction de Port-au-Prince où, nous le souhaitons vivement, ces problèmes fondamentaux seront résolus et que ce centre-ville historique fonctionnera normalement, ses trottoirs-galléries rendus à la circulation piétonne, sa densité abaissée par la relocalisation du port-marchand et du marché de gros de la Croix-des-Bossales, etc.
L. N. : Depuis quand le Marché Hyppolite a-t-il été déclaré patrimoine historique national ?
D. E. : Le Marché Hyppolite a été classé par arrêté présidentiel en date du date du 11 mai 2010. C’est le 34e monument historique de la République d’Haïti à recevoir cette haute distinction.
C. A. : Pourquoi a-t-on attendu si longtemps avant de déclarer le Marché patrimoine national et de le restaurer, alors que la dégradation ne date pas l’incendie de sa halle en 2008 ?
Source : http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=87589&PubDate=2011-01-10
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