Daniel Marcelin a incarné avec brio  l’histoire de son pays et celle de ses hommes politiques. Une traversée  des époques tumultueuses dans laquelle le spectateur sent assister à un  film, un cours d’histoire. Cette exploration permet de révéler,  notamment aux étrangers, des pans d’histoire non encore explorés,  inconnus ou méconnus.
Haïti: 18 heures et quelques poussières. La petite salle polyvalente Fokal-Unesco est bondée de monde, en ce mercredi 27 avril. La scène est comme une salle d’embarquement : des bagages empilés ça et là, attendant d’être emportés. Mais il n’y pas qu’un voyageur, coincé dans l’aéroport, au milieu de ses bagages. Daniel Marcelin, l’acteur, joue seul l’histoire d’Haïti, son pays. Dans « Ayiti » – monologue qu’il a écrit en collaboration avec Philippe Laurent, également metteur en scène -, Daniel Marcelin traverse l’histoire d’Haïti, à grandes enjambées et sans fausseté.
De la période coloniale à l’époque contemporaine en passant par les multiples présidences militaires, l’occupation américaine, la dictature de François Duvalier et le régime de Jean-Bertrand Aristide, Haïti se vit, se sent dans la parole, les gestes, les chants (traditionnels) dans « Ayiti ».
La voix de l’acteur paraît tantôt plaintive, souffrante, douloureuse, tantôt joyeuse et moqueuse, en fonction des tranches d’histoire ou des personnages qu’il fait revivre. L’utilisation de certains chants traditionnels permet d’illustrer des pages d’histoire, comme l’époque de l’esclavage, la commémoration du bicentenaire de la fondation de la ville de Port-au-Prince ou les manifestations de joie à l’issue de l’élection d’Aristide. Les chants s’accompagnent de mouvements de danse qui les explicitent, car ils sont porteurs d’une charge sociale.
La pièce est comme un livre d’histoire. Elle est vraie, crue, explicite. Le spectateur se remémore toutes ces pages d’histoire, que l’acteur redessine, repeint pour en donner à voir les images, les ambiances, les grandes tensions sociopolitiques…
Daniel Marcelin se dépasse pour entrer dans la vie de chacun des  personnages qui ont marqué l’histoire du pays, des héros de  l’indépendance – dont la plupart deviendront des chefs d’Etat après  l’indépendance en 1804 – aux contemporains. Il les incarne. Il les rend  vivants en  simulant leurs timbres de voix, leur gestuelle, en utilisant  des mots de leurs célèbres discours ou paroles. Des personnages se  reconnaissent également par des éléments de leur tenue vestimentaire.  Ainsi, l’acteur se sert d’une valise en guise de chapeau pour évoquer  Toussaint Louverture et Dessalines ; il visse sur sa tête une casquette  pour jouer l’amiral américain Caperton.  Il entre dans le corps du  personnage François Duvalier en en imitant la voix nasillarde. Celle qui  l’assimile à un personnage de la mort : Baron Samedi. Cette divinité de  la mort avec qui il se confondait est évoquée dans « Ayiti » par son  haut de forme noir. Quant à son fils Jean-Claude Duvalier, il apparaît  comme un lourdaud,  passionné des courses de voitures. Dans une mise en  scène dépouillée, simple, sobre, Daniel Marcelin parvient à donner corps  et voix aux personnages historiques qui semblent l’investir, le  chevaucher.
Daniel Marcelin utilise beaucoup de jeux d’humour, ses techniques de  grand mime – cette forme de théâtre qu’il a cessé de jouer sur scène  depuis des années. Ainsi, se mêlent dans ce spectacle humour,  autodérision et critique voilée, implicite des dirigeants qui ont fait  l’histoire d’Haïti.
La pièce révèle en outre une part de la vie de Daniel Marcelin qui a  vécu, dans la grande douleur, la solitude, le séisme du 12 janvier, de  Bruxelles où il travaillait sur l’écriture et la mise en scène de la  pièce.
« Il n’y a que Daniel Marcelin à pouvoir jouer cette pièce, à faire vivre tous ces personnages, les manipuler, les faire sortir l’un après l’autre. Le pays se trouve dans la pièce. C’est une histoire complète », pense la comédienne, conteuse et metteur en scène Paula Clermont.
Pour la galeriste et critique d’art Mireille Pérodin Jérôme, « le spectacle a été sublime, à tous les niveaux : les jeux de l’acteur, le contenu du texte, qui est une traversée de l’histoire ». « ” Ayiti ” est un coup de pinceau très fort sur les divers moments de notre histoire. Daniel Marcelin n’a raté personne, il n’a rien oublié », indique Mireille Pérodin Jérôme.
« Daniel Marcelin s’est révélé un grand acteur dans ” Ayiti ” », estime le comédien Marc-Henry Valmont. Le comédien Saint Phar Pyram croit, quant à lui, « avoir été à l’école, où j’ai tout appris de l’histoire de mon pays et des jeux du comédien au niveau de la mise en scène, qui passe d’un personnage à un autre ».
Plus de quatre-vingts représentations de « Ayiti » ont été données en  Belgique. La pièce a été a été jouée dans presque tout le pays.  Elle a  été présentée pour la première fois, du 16 mars au 2 avril 2010, à  l’Espace Magh, à Bruxelles.
« Ayiti » a été jouée durant les mois de septembre, d’octobre, de  novembre et de décembre 2010 en Europe. Cette pièce a été jouée en  France, dans le cadre du festival des francophonies de Limoges qui s’est  déroulé du 23 septembre au 2 octobre 2010. En octobre dernier, le  spectacle a été présenté à Ouagadougou ; en décembre, à Dakar, au  Festival mondial des arts nègres. En janvier 2011, « Ayiti » a été  programmée dans toute la Guadeloupe. Le 9 mai prochain, Daniel Marcelin  sera en tournée avec la pièce en Guyane française. En Haïti, après le  Petit Conservatoire – école et compagnie de théâtre qu’il dirige -les  Gonaïves et la Fokal, Daniel Marcelin jouera, ce 30 avril, « Ayiti » à  Saint-Marc.
« Ayiti » est une production de la Charge du Rhinocéros, de l’Espace  Magh, de l’Archipel/Scène nationale de la Guadeloupe et du Petit  Conservatoire. La scénographie est signée Olivier Wiame, tandis que le  décor sonore et la création de lumières sont respectivement de Marc  Doutrepont et Xavier Lauwers.
Chenald Augustin
caugustin@lenouvelliste.com
Source : Lenouvelliste


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