Texte tiré de nouvèl Fokal
Du 28 novembre au 10 décembre 2011 s’est tenu à Port-au-Prince le festival de théâtre « Quatre chemins ». Une rétrospective du festival vous permet de revivre les moments succulents qui ont amusé, ouvert l’imaginaire et poussé à la réflexion un large public.
Lundi 28 novembre, 14 heures à Pont Morin. Près d’une centaine de personnes viennent de tous horizons et se massent sur la place Hyppolite. Ils portent des t-shirts blancs, des chapeaux de paille, des drapeaux. Avec eux, il y a des patineurs et des comédiens. Des souffleurs de lambis lancent les festivités. Des jeunes entament un débat autour de l’énoncé : « Le théâtre est-il un luxe pour la société ? ». Arguments et réfutations fusent d’un camp à l’autre pour laisser place après 5 minutes à la « parade des arts vivants » qui descend sur l’avenue Lamartinière. Sur le parcours, la musique enivrante et palpitante de la bande à pied « Raram » rythme la marche de ce public frappé de théâtromanie. Des prestations simultanées du « Théâtre de l’unité », de « Co-labo » et d’ « Artcho Danse » contrastent avec l’ambiance festive et mènent à réfléchir sur le projet de reconstruction d’Haïti. A FOKAL, où a abouti la parade, le groupe « Zatrap » attend déjà pour enflammer un public qui ne demande que ça. Ce public, même après les prestations de « Raram » et de « Zatrap », est encore là. Comme s’il ne voulait pas partir, et qu’il ne pouvait attendre le lendemain pour la première représentation théâtrale.
« Le sang et la mer » de Gary Victor, une mise en scène et interprétation de France Medeley Guillou, avec la collaboration de Catherine Boskowitz, est la première représentation du festival qui se joue les 29 et 30 novembre et le 1e décembre. Une foule fait la queue devant FOKAL lors de la première représentation, qui ne peut malheureusement accueillir qu’environ 150 personnes. Le spectateur est face à une scène en pagaille. Une jeune femme est couchée par terre, face au sol. Elle se débat face au désastre, elle ne veut pas oublier. Cette mise en scène expose que le théâtre, art de la représentation, propose une transcription abstraite du monde, qui aussi bien peut proposer et modéliser nos réalités.
A partir du 1e décembre, le public est invité à découvrir les lieux de « Base-Art Culture », là où se donne les trois représentations de « Si ce n’est toi », les 1e, 2 et 3 décembre. Ce spectacle est joué dans un espace spécialement aménagé à cet effet par la compagnie de théâtre Co-Labo. Le public est assis en plein air en train de déguster le talent de trois comédiens qui emmènent le public dans un voyage pour le futur.
« Si ce n’est toi », texte d’Edward Bond, mis en scène par Albert Moléon, avec la collaboration de Catherine Boskowitz, est interprété par Louisna Laurent, Albert Moléon et Ernst Saint Rome. Le texte de Bond décrit un monde où les hommes ne sont plus en capacité de penser par eux-mêmes. En dehors des alternatives binaires et illusoires que l’État leur propose, il n’y a aucune échappatoire, si ce n’est la mort. Le texte nous renvoie à tout un pan de notre histoire contemporaine. Il nous replonge dans les moments qui ont suivi le séisme du 12 janvier qui a supplanté toute autorité humaine établie dans la cité pour instaurer la sienne et ses nouvelles règles de vies : le règne de la communauté !
La rue est, du 29 novembre au 4 décembre, la scène où se partagent histoire, deuil, rires, lamentations, poésies, actualités, obsèques et mariage … « Le théâtre de l’unité » présent en Haïti par le biais des metteurs en scène Jacques Livchine et Hervée de Lafond, enflamme le quotidien du public de rue. La brigade d’intervention théâtrale comprenant Vladimir Delva, Chelson Ermosa, Kermonde Lovely Fifi, Eliézer Guérismé, Jenny Cadet, Johny Zéphyrin, Clorette Jacinthe et Régina Lazarre occupe la rue, le réel et l’espace public.
Le samedi 3 décembre à Sainte Rose de Lima, le public est convié à apprécier « Congre et Homard », un texte de Gaël Octavia, mis en scène et interprété par les guadeloupéens Dominik Bernard et Joël Jernidier. Abordant les rapports traditionnels du couple dans la culture antillaise, « Congre et Homard » propose, à travers une mise en scène moderne, un regard contemporain sur le théâtre guadeloupéen.
Dans un restaurant désert, un homme C. convoque un autre H. Pourquoi ? C tarde à le lui dire. Mais il lui raconte l’histoire d’un pacte entre le congre et le homard. A l’issue de ce formidable huis clos, les deux hommes finissent par comprendre qu’ils sont liés par un pacte singulier. Un pacte qu’ils n’ont pas choisi, ni décidé, mais qui leur est imposé par une épouse infidèle. Tout l’auditorium de Sainte Rose est sous le charme de cette pièce passionnante. La pièce présente une scénographie épurée à laquelle se mêle l’utilisation de la lumière, du son et de la vidéo.
Dimanche 4 décembre, s’est encore au tour de l’auditorium de Sainte Rose de Lima de s’agiter. Cette fois ci, le festival attend un jeune public. Mais les grands envahissent l’espace et partagent eux aussi l’univers de ce jeune public. « L’enfant » est un texte de Marie-Thérèse Picard, interprété par Ysabel Lopez et Patrick Mishino. « La fable construite par Marie-Thérèse Picard est une « chanson douce », qui console l’enfant en mal d’amour et finit par le convaincre, en touchant sa sensibilité tout autant que sa raison, que si l’on ne peut « changer de vie », on peut « changer sa vie ». N’est-ce pas là un discours qui s’adresse à tous, petits et grands ? », s’exclame Scarlett Jesus, sur le site « Gens de la caraïbes ».
Le 6 décembre, le conte et la poésie se rejoignent sur l’espace scénique de l’Institut Français en Haïti. Sylvie Pourcel met en scène des marionnettes à tringle pour interpréter trois contes de Mimi Barthélémy : « Siné et Lina », qui raconte comment Lina a refusé d’épouser le soleil et la lune pour choisir Siné le boiteux au regard tout empli de clarté; « La Clef du savoir », cette clef si précieuse qui donne accès à tous les mystères de la vie, et « Gwodada le monstre », autre conte traditionnel haïtien. Ces trois histoires frappent par leur sens de l’humour et leur poésie. Néhémy Pierre, fera ensuite résonner des textes poétiques extraits de son premier recueil, « Emmuré » suivi de « Mots épars ».
L’IFH reçoit, le mercredi 7 décembre 2011, une lecture scénique proposée par le « club de lecture de la Bibliothèque Monique Calixte ». Cette lecture met sur scène trois jeunes lecteurs du club de lecture Béonard Monteau Kervens, Stéphane Saintil et Sachernka Anacacis. Ils lisent tour à tour « Bicentenaire » (De Lyonel Trouillot), « Le reste du temps » (D’Emmelie Prophète), et « Le soleil se lèvera a l’ouest » (De Cynthia Bastien). La mise en espace est assurée par Billy Mondesir, jeune bibliothécaire et animateur du club de lecture. Il est question pour ces trois lecteurs d’emmener le public à revivre ou à revisiter la vie de ceux qui sont tombés…Un jeune étudiant, Jean Dominique ou un combattant qui ne rentrera pas un soir et jamais plus. Voici donc l’histoire singulière de ceux qui tombent, ceux qui attendent, et ceux qui résistent.
La FOKAL et l’IFH se partagent les différentes représentations du chantier de création d’Eva Doumbia. Cette metteuse en scène franco-ivoirienne qui se définit comme métisse, monte des textes de femmes noires ou insulaires qu’elle réunit sous le titre « Une île et autres histoires de femmes ». Ce spectacle ambulatoire fait appel à la voix de cinq jeunes femmes qui interprètent des textes de Toni Morrison, Yannick Lahens, Sia Fegiel, Jamaica Kincaid et Léonora Miano. Chacun invite à un voyage vers sa terre, son île, son histoire.
Gaëlle Bien-aimé, Erline Senexant Germain, Pascale Julio, Nina Nkundwa, et Carline Collagène ; sont dispersées dans 5 espaces qui ne sont pas au départ destinés à une représentation théâtrale. Des textes sont joués dans des salles de classe, des jardins, des toilettes, une cafeteria, un studio… Il était question, comme le souligne la comédienne Carline Collagène, « de créer et non d’interpréter le réel ».
Dans le cadre du festival, un match de débat se déroule à FOKAL, le samedi 10 à 15 heures, autour de l’énoncé : « Le théâtre est-il un luxe pour la société ? ». Deux équipes de quatre débatteurs du projet « Vague du futur », initié et géré en Haïti par FOKAL et Droits et Démocratie, exposent leur position sur l’énoncé, respectant les structures du format de débat « Public forum », devant un jury et un public attentifs et critiques.
On peut déduire un bilan positif pour cette 8e édition du festival « Quatre chemins ». La coordinatrice de « Quatre chemins » a FOKAL, Michèle Lemoine, se réjouit du progrès, dit-elle, constaté par rapport à l’édition précédente. « J’ai pu constater un grand pas vers le professionnalisme, vers la qualité des choix et la profondeur des textes. Les scénographies expriment l’esprit et la vision du metteur en scène, qui n’est plus esclave d’un quelconque réalisme », explique-t-elle. Rendez-vous est d’ores et déjà pris pour 2012 et une nouvelle édition de « Quatre chemins » afin de revivre ce fabuleux moment de festivités théâtrales.
Ricardo NICOLAS
Soyez le premier à commenter