Le recueil «Récitatif au pays des ombres» de Rodney St-Eloi est un texte qui interpelle tant par le titre que la réalité immédiate qu’il charrie. Dans ce recueil, l’auteur fait un récitatif de Port-au-Prince, cette ville qui l’habite, dans cette plaquette, Le poète se fait géographe et indexe des lieux mythiques, et des moments de notre histoire immédiate de peuple. Comme à son habitude, Rodney Saint-Eloi ne se cache pas derrière des métaphores creuses et futiles. Sans sombrer dans aucune platitude, il se fait porte parole du réel.
«Cité soleil
Les barbelés saignent l’horizon
La cité assassine le soleil
La cité assassine les alizés
La cité assassine la cité
La cité mange les étoiles»
(Port-au-Prince tête chargée : p. 34)
Le chant du poète renvoie au réalisme qui frise l’engagement dans le sens citoyen du terme, tant par sa démarche poétique que par l’usage de la première personne. Il pose un regard rétrospectif sur des moments fastidieux de notre histoire de peuple en l’inscrivant dans une perspective de grande espérance. Malgré le délabrement de sa ville, il est encore fou amoureux d’elle, tel un amant en mal de tendresse, et la célèbre avec ardeur et passion.
« Dans ces villes d’hirondelles, les casernes avaient fini par avaler l’espace, l’histoire, la géographie, la mémoire. Seul le temps naissait au temps. Les garçons récitaient leur leçon d’histoire en Chœur. Les filles s’asseyaient sur leur virginité et attendaient l’amour. Les jours de pluie pour tromper l’espoir elles se donnaient des noms de fleurs ».
Récitatif au pays des ombres est un cri du cœur, rêvant de futurs à la mesure de nos aspirations, tout en faisant échec au défaitisme. Dans cette oeuvre à la limite récit-poésie, l’auteur invite au vivre-ensemble, a certains moments, le je cède le pas au nous, pour le triomphe du collectif au détriment de l’individualisme. Le texte prend parfois des proportions narratives qui surprennent, dans une grande intimité avec Port-au-Prince.
Récitatif au pays des ombres, Editions Mémoires d’encrier, Québec, 85
Né à Cavaillon au Sud d’Haïti, Rodney Saint-Éloi fonde en 1991 à Port-au-Prince les Éditions Mémoire, qui auront pour mot d’ordre la publication des écrivains haïtiens vivant tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Avec le poète Georges Castera, ils co-fondent la revue semestrielle d’art et de littérature “Boutures”.Depuis 2001, Rodney Saint-Éloi vit à Montréal. En 2006, il publie Chantier d’écriture (Mémoire d’encrier), un collectif de douze récits d’étudiants-auteurs réalisé dans le cadre d’ateliers d’écriture. En 2004, paraît un magnifique recueil de poèmes “J’ai un arbre dans ma pirogue” (Mémoire d’encrier, 2004).
Bibliographie :
Récitatif au pays des ombres (Mémoire d’encrier, 2011)
Haïti, kenbe la ! Michel Lafon (2010)
Refonder Haïti (Mémoire d’encrier, 2010, collectif)
Chantier d’écriture (Mémoire d’encrier, collectif, 2006)
Montreal vu par ses poètes (Mémoire d’encrier, 2006, collectif)
J’ai un arbre dans ma pirogue (Mémoire d’encrier, 2004)
Nul n’est une île (Mémoire d’encrier, 2004)
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