SI vous avez fréquenté une des écoles des Frères de l’Instruction Chrétienne (FIC) en Ayiti, vous connaissez surement le fameux symbole. L’enseignement se faisait uniquement en français, et il était interdit de s’exprimer en créole. Pour des enfants du peuple, dont les parents ne connaissaient que le créole; la règle était sévère et punitive, mais surtout humiliante. Le teneur du symbole était la risée des autres élèves, qu’ils soient capables de s’exprimer ou non dans la langue de l’enseignant (les enseignants étaient en grande majorité des ressortissants de la France ou du Canada, membre de l’Église Catholique dont est issue la Congrégation).
Le symbole en soi n’était rien. Il était représenté soit par un jeton, une pièce, et certaines fois par une mascotte. Des différentes représentations, la mascotte était la plus détestée, car elle ne pouvait être cachée. Celui qui attrapait la mascotte tôt dans la journée, vivait l’enfer; surtout lorsqu’il ne trouvait pas un autre preneur avant la récréation. Dans ce cas, les 30 minutes de jeu sur la cour le transformaient en bouffon. Peu de ceux qui avaient vécu ce cauchemar finissaient la récréation sans verser de larme – pour la satisfaction excitée des railleurs. Alors, pour éviter de se faire humilier, certains élèves s’abstenaient tout bonnement de parler.
Mais personne n’échappait malheureusement au symbole, car à un moment ou à un autre, on devait répondre aux questions.
Vous parliez créole: Symbole! Vous prononciez un mot français en créole: Symbole!. Vous faisiez une faute de grammaire grave: Symbole! Mais le moment le plus sombre était quand l’enseignant vous demandait d’aller porter un message verbal à la direction. Certains ne revenaient tout bonnement pas parce qu’ils s’étaient fait prendre par le (la) Supérieur (e). Ils restaient en punition jusqu’à ce qu’ils fassent le miracle de trouver la phrase salvatrice.
Le complexe du symbole a franchi les périmètres des écoles des Frères de l’Instruction Chrétienne pour s’établir dans toutes les écoles, même celles qui ne pratiquaient pas la tenue du symbole. Les enseignants des autres écoles sont en majorité issus des écoles des FIC ou ont été formés à l’enseignement dans un institut dirigé par les FIC. Ce qui se passe chez les Frères ou les Sœurs se passe aussi au Lycée mais sans le symbole. Le passage du complexe s’est fait du subconscient des enseignants vers le conscient des élèves.
Malheureusement même après avoir fini par maitriser la langue, on ne se débarrasse pas du symbole. La mascotte disparait, mais le complexe est bien vivant dans notre subconscient. Collégiens, universitaires, professionnels et hauts cadres du public ou du privé…le créole finit par être diabolisé, et la faute est bannie, quand il faut parfaitement s’exprimer en français. Certains ne se gênent pas tout bonnement de railler (dyòl sirèt) ou de corriger les textes de collègues au stylo rouge. Ah oui au stylo rouge comme les enseignants le faisaient.
Les séquelles sont tout autant graves quand il faut s’exprimer en créole. On entend souvent nos compatriotes s’exprimer en créole, tout en prenant soin de prononcer certains mots en français ou une prononciation rapprochée, qui néglige certaines fois une syllabe ou deux. J’arrive difficilement à faire une exception : à l’église, à la télé ou à la radio, aux centres culturels… aucune de ces entités qui devraient servir d’auxiliaire, ou plutôt de vecteur d’expansion de la langue des ancêtres ne fait un effort pour montrer la voie. On se demande même, si elles sont conscientes du problème!
Nos artistes de la musique ne font pas non plus exception. Ils ont pris le même sentier, alors ils rapportent les mêmes tares qui ornent l’environnement de leur formation. Ordinairement, ils chantent en créole mais ne se privent pas de cisailler certains mots pour ne pas être traité de «dyòl sirèt». Pauvre Shabba qui se fait tourner en ridicule juste parce qu’il chante en bon créole notamment.
Nos groupes musicaux de manière générale – aussi loin que l’on puisse remonter – ne se sont pas donné la peine de faire une différence en ce sens. En sont-ils conscients d’ailleurs? J’entends souvent les reproches faites à Arly Larivière du groupe Nu Look – avec raison – car il est probablement le chanteur qui martyrise le plus la langue créole dans le contexte mentionné. Mais allez écouter Tropicana ou n’importe quel autre groupe musical du passé ou du présent, le constat est le même. Ce n’est probablement pas au niveau des groupes musicaux que ce problème sera résolu. On ne peut pas leur demander de redresser la barre de plusieurs années d’éducation marquées par le complexe du symbole d’autant plus que la société ne les considère pas comme un vecteur essentiel pour l’expansion de la langue dans sa vraie nature.
Je laisse aux experts et aux responsables le soin de trouver la solution, s’ils sont conscients du problème. En attendant, j’encourage chacun de mes amis à se débarrasser du complexe du symbole, notamment quand ils s’expriment dans notre belle langue maternelle.
Frandy Dorvil
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