Contexte du conflit
Depuis sa spectaculaire apparition sur la scène musicale haïtienne en 2019, le groupe Zafem, fondé autour du duo emblématique formé par Dener Ceide et Réginald Cangé, s’est imposé comme l’un des projets musicaux les plus marquants de sa génération.
Son premier album, Las, sorti en 2023, a marqué un tournant dans le paysage du compas moderne, séduisant un auditoire international. Mais derrière ce succès artistique, une bataille juridique s’est engagée autour du nom même du groupe.
L’origine du différend
Bien avant la naissance du groupe musical, une entreprise américaine dénommée Zafem World Entertainment avait été créée en 2015. Cette société, active dans l’organisation d’événements musicaux et culturels, avait ensuite enregistré légalement son entreprise en 2021 aux États-Unis.
Lorsque le groupe Zafem a tenté d’enregistrer le nom en 2023, la demande a été refusée en raison de la similarité avec la marque déjà existante. En 2024, Zafem World Entertainment a adressé une mise en demeure (cease and desist letter) au groupe, exigeant l’arrêt immédiat de l’utilisation du nom Zafem.
Ne voyant aucune suite, l’entreprise a intenté une action en justice l’année suivante, réclamant 2 millions de dollars en dommages,et l’interdiction d’utiliser le nom “Zafem”.
Le groupe musical ne s’étant pas présenté à la cour, le juge américain a rendu un jugement par défaut, accordant 1 million de dollars de dommages à Zafem World Entertainment, du fait que le préjudice n’était pas clairement démontré.
La logique juridique derrière la décision
Selon le Lanham Act, la loi américaine sur les marques, le droit d’usage appartient au premier à avoir utilisé la marque dans le commerce (first to use in commerce).
En théorie, cela plaide en faveur de Zafem World Entertainment, active depuis 2015 dans le domaine du divertissement.
Cependant, le juge a reconnu que l’entreprise n’avait pas prouvé de pertes financières réelles ni aucune confusion substantielle du public n’avait été démontrée. Pendant ce temps Et le groupe musical Zafem avait acquis une notoriété considérable indépendante de l’entreprise plaignante. Ainsi, la cour a validé la violation technique, mais a réduit la réparation à 1 M$, signalant que le préjudice restait théorique.
Les droits actuels du groupe Zafem
Malgré le jugement, Zafem conserve plusieurs leviers légaux et stratégiques. Le groupe peut encore défendre son identité artistique, sous certaines conditions.
a) Dépôt d’un recours en annulation de jugement
Le groupe peut demander à la cour de révoquer le jugement par défaut (Motion to Vacate Default Judgment) s’il démontre qu’il n’a pas reçu la notification adéquate de la poursuite, ou qu’il y a eu une négligence excusable.
Une telle motion est prévue par la Rule 60(b) des Federal Rules of Civil Procedure.
Si elle est acceptée, le procès serait rouvert et Zafem pourrait faire valoir sa défense notamment la notoriété internationale de sa marque musicale.
b) Argumenter sur la notoriété et la coexistence pacifique
Zafem peut plaider que le nom est devenu synonyme d’une œuvre artistique identifiable dans l’esprit du public, et que son usage n’a jamais causé de confusion ni de préjudice réel à l’entreprise Zafem World Entertainment.
Le droit américain reconnaît ce principe sous la doctrine du “concurrent use” : deux entités peuvent coexister avec des marques similaires, si elles opèrent dans des zones ou des contextes différents, sans confusion du public. Dans ce cas, la cour pourrait autoriser la coexistence légale des deux noms, sous certaines conditions d’usage ou de distinction visuelle (logos, secteurs, territoires).
c) Enregistrer une variante du nom
Si le groupe préfère éviter un long contentieux, il peut préserver son identité artistique en modifiant légèrement le nom.
Plusieurs options légales sont possibles, tant que la variation réduit le risque de confusion :
| Variante possible | Avantage juridique |
| Zafem Music Group | Ajoute un qualificatif distinctif ; marque enregistrable. |
| Zafem Rasin Compas | Crée une différenciation culturelle claire. |
| The Zafem Project | Positionne le nom comme entité artistique unique. |
| Zafem International | Insiste sur la portée mondiale et artistique. |
Chaque variante conserve la force du nom “Zafem”, tout en créant une marque nouvelle, propre et défendable devant le USPTO.
d) Enregistrer la nouvelle marque et le logo
Une fois le nouveau nom choisi, Zafem peut :
- Déposer la marque auprès du U.S. Patent and Trademark Office (USPTO).
- Inclure le logo, le slogan et les visuels associés pour étendre la protection.
- Documenter l’usage commercial réel (concerts, diffusion, produits dérivés).
Cela conférera au groupe un droit exclusif d’usage de la nouvelle appellation sur tout le territoire américain.
Une question d’identité, pas seulement de droit
Le cas Zafem illustre une réalité fréquente :
👉 Les lois sur les marques protègent la priorité d’usage, mais la notoriété culturelle finit souvent par l’emporter dans la perception du public. Zafem n’a pas cherché à tirer profit d’un nom existant : il a bâti, depuis 2019, une marque émotionnelle, artistique et symbolique dans l’univers du compas. Sa notoriété dépasse aujourd’hui celle d’une entreprise à la notoriété limitée qui, juridiquement, détient la première trace du nom.
En conclusion
En droit strict, Zafem World Entertainment détient une antériorité formelle. Mais en équité et en pratique, le groupe Zafem représente la réalité de la marque vivante, connue et associée à une œuvre artistique majeure.
Les prochaines étapes pour le groupe sont claires :
- Contester ou renégocier le jugement.
- Déposer une variante de marque distincte mais fidèle à son identité.
- Consolider sa présence légale à l’international (WIPO, USPTO, CIPO).
Ainsi, qu’il s’appelle Zafem, Zafem Music Group ou Zafem Rasin Compas, le nom continuera d’incarner ce qu’il est devenu dans le cœur du public : un symbole d’excellence musicale, de culture et d’émotion haïtienne contemporaine.

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